La mystérieuse vertu de Galaad

le rapport à la violence : critère de premier ordre

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Dans la plupart des ouvrages de vulgarisation et malheureusement dans l’opinion générale, le livre du conte du Graal de Chrétien de Troyes est supplanté par le récit de "la Quête du Graal".
On qualifie Galaad de chevalier spirituel, de pur, de mystique. Cependant, si on examine réellement le texte, ces assertions deviennent très problématiques.
 

En règle générale, la supériorité de la Queste du Graal sur le Perceval est justifiée par les points suivants :
- condamnation de la violence : on quitte la barbarie des romans précédents
- notion de chevalerie spirituelle : Galaad est le pur, le chevalier spirituel qui n’a plus besoin de la force brute pour triompher [1]
- le Roman de la Queste marque le sommet de la christianisation ( à remplacer d’urgence par catholicisation) du mythe. C’est un texte spirituel [2], par opposition aux précédents qui étaient soient des divertissements (Perceval, Parzival, les continuations), soit maladroits (comme le Perlesvaux)
 
Oh stupeur !
Comment peut-on qualifier ce texte de Spirituel, et comment peut on qualifier Galaad de chevalier spirituel ?
J’ouvre mon exemplaire de la Queste du Graal ( édition du seuil, collection points sagesses p.262) au chapitre intitulé "les trois compagnons" qui raconte le voyage de Galaad, Perceval et Bohort, les trois chevaliers qui accompliront ensembles la quête :
"Parvenus dans la salle, ils y trouvent des chevaliers et des sergents en train de s’armer. Aussitôt les trois compagnons, qui étaient entrés là à cheval, leur courent sus, l’épée dégainée, et les abattent comme bêtes muettes. Les autres défendent leurs vie du mieux qu’ils peuvent ; mais à la fin il leur faut bien prendre la fuite, car Galaad en tue tant qu’ils ne pensent pas que ce soit un mortel, mais plutôt l’Ennemi qui c’est précipité là pour les détruire.
Enfin, voyant qu’il n’est point de sauvegarde, ceux qui le peuvent fuient par les portes, les autres par les fenêtres, et se brisent le col et les jambes et les bras. "
Un bel exemple de non violence, qui n’est pas sans rappeler certains épisodes de la croisade contre les Albigeois, notamment le siège de Béziers où l’on relate que les assiégés n’eurent d’autre reccours que de se jeter par les fenêtres d’une tour en flamme et qu’ils s’écrasèrent en bas.
 
Les trois compagnons sont un peu honteux de leur carnage, mais Bohort les rassure :
"Certes, dit Bohort, je ne crois pas que Notre Sire les aimât pour qu’il les ait laissé traiter de la sorte. Ils furent sans doute mécréants et renégats, si coupables envers Notre Seigneur qu’Il a voulu leur mort et nous a envoyés les détruire. "
Galaad (le pur..) n’est pas convaincu : "Vous n’en dites pas assez, répond Galaad (...)" Heureusement, un chevalier vêtu de blanc et portant le calice de la messe avec une hostie (un serviteur de Dieu en somme) les rassure :
"Sires, sachez que vous avez faits la meilleure action que firent jamais chevaliers. Quand vous vivriez autan que durera le monde, je ne crois pas que vous fassiez un autre exploit qui vaille celui-ci, et je sais que Notre sire vous envoya pour l’accomplir".
 
Je saute quelques pages (p 269) : " Ils en vinrent aux mains, mais les trois compagnons abattirent les dix chevaliers avant d’avoir brisé leurs glaives. Puis, frappant de l’épée, ils les tuèrent comme des bêtes. Ils l’auraient donc emporté sans peine, si soixante chevaliers n’étaient accourus du castel pour les secourir (...)
La mêlée commença, grande et merveilleuse, et les compagnons étaient assaillis de toutes parts. Mais Galaad, qui avait l’épée-à-l’étrange-baudrier, frappait de droite et de gauche, tuant tout ce qu’il atteignait, si bien qu’on l’eût pris pour un démon plutôt que pour un homme mortel"
 
Si on examine au contraire le roman de Chrétien de Troyes, on constate que bien que la violence soit présente, les héros de Chrétien sont très pacifiques :
- Perceval ne tue que le chevalier vermeil (symbolique oblige), n’achève aucun vaincu mais les envoie se constituer prisonnier auprès du roi Arthur
- Gauvain ne tue personne (mais il est accusé de l’avoir fait), n’achève aucun vaincu mais les envoie se constituer prisonniers auprès du nautonier [3]. Au passage, il en ressuscite un.
 
Il me semble important de réfléchir sur cette notion de violence. En effet, la spiritualité est quelque chose qui a un effet visible et concret sur le plan matériel [4]. Ce n’est pas pour rien que dans son prologue, Chrétien de Troyes rappelle justement les règles de vies de l’initié [5] en se référent au comportement de vie décrit dans le sermon sur la montagne [6]

Notes :

[1] "il faut apercevoir que Galaad, justement parce qu’il est le plus pur mystique, le plus transformé par l’amour, le plus étranger aux barbares égarements de l’honneur pour l’honneur, se trouve tout naturellement devenir le meilleur chevalier du monde" écrit Albert Béguin dans son édition de la Queste du Graal - La Quête du Graal, LUF, 1945 ; édition établie et présentée par Albert Béguin et Yves Bonnefoy

[2] "C’est exactement le roman de la grâce ou, si l’on veut, la vie de la grâce dans l’âme chrétienne racontée sous forme de roman" nous dit E. Gilson dans sa publication "LA MYSTIQUE DE LA GRÂCE DANS LA QUESTE DEL SAINT GRAAL" - Étienne Gilson, Romania 51, 1925, p. 321-347

[3] on pourrait en déduire que nautonier et roi Arthur ne font qu’un, ce qui correspond bien à la symbolique d’une école spirituelle(la cour du roi Arthur) dont le rôle est justement celui d’un passeur

[4] comme l’on montré les Cathares. Si on en sait de moins en moins sur leur initiation, on est en revanche de plus en plus sûrs de leur comportement exemplaire (voire incroyable)

[5] il n’écoute aucune parole méprisante, s’il entend médire d’autrui il est attristé. Il aime la vraie justice, la fidélité et la sainte Eglise. Il hait toute bassesse. Il est plus généreux qu’on ne le croit...

[6] que ta main gauche ignore le bien que fera ta main droite (...) mais Dieu qui est dans le secret te le rendra


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